États d’Âme

Colette Pourroy

04. 11. 2023 – 10. 12. 2023

« ÉTATS D’ÂME » DE COLETTE POURROY, PHOTOGRAPHIES DE L’INVISIBLE

Depuis son invention au XIXe siècle, la photographie joue souvent un rôle d’aide-mémoire et sa place dans les généalogies comme dans l’état civil a rapidement supplanté le portrait peint. Mais, est-ce l’identité profonde des êtres que fige l’objectif de l’appareil ou seulement leur apparence ?

Depuis une dizaine d’années, les publications de Colette Pourroy sont en rupture avec les albums familiaux traditionnels : ses clichés évitent les visages, préfèrent l’imprécision aux descriptions détaillées, le dialogue de l’ombre et de la lumière à la narration explicite. Pourtant, chacune des séries de l’artiste est dédiée à l’un(e) de ses proches, ami(e) ou parent, dont elle saisit l’ombre, la silhouette, la forme floue, comme pour évoquer davantage sa disparition que sa présence physique.

Peu d’artistes savent rendre avec une telle subtilité l’expérience du deuil : chez Colette Pourroy, il n’y a ni symbole funèbre ni figure éplorée. Le départ de l’être cher se matérialise par le vide qu’il laisse derrière lui, la place qu’il n’occupe plus dans chacun des intérieurs qui rythmaient son quotidien, les accessoires dont il ne fera plus usage, les paysages où il ne reviendra pas. Cependant, l’artiste ne porte pas un regard nihiliste sur la précarité de l’existence. Les titres comme Eve réincarnée ou Metempsycose ne renvoient-ils pas à des croyances où l’âme peut renaître sous différentes formes ? Les compositions de Montée de l’Âme ou de Déesse cosmique se rapprochant des sculptures hindoues, paraissent confirmer cette réflexion nourrie de spiritualité orientale. L’être humain peut-il réapparaître dans un animal, un végétal, voire en des objets inanimés ?

Dans la série États d’Âme, la nudité du modèle est moins un sujet d’érotisme que l’état du corps déchargé de tout artifice, tel qu’il est à la naissance et tel qu’il retourne à la terre. Le voile blanc qui recouvre ou enveloppe la femme en mouvement, décline un large éventail symbolique : ornement virginal de jeune mariée ou linceul de fantôme ? Tulle d’une danseuse classique ou guimpe de nonne ? Ce voile spectral et sensuel contribuant à brouiller l’image, devient la transition du visible à l’invisible ou de la vie vers l’au-delà, comme le suaire dans lequel est enseveli le martyr avant la Résurrection ou les soies d’un cocon où la chrysalide achève sa mue avant de prendre son envol.

La série fut réalisée dans un bâtiment provençal du XVIIe siècle, édifié sur l’emplacement d’une commanderie templière entourée de sombres légendes. Les générations ont défilé dans ce lieu du Moyen Age jusqu’à nos jours, stratifiant nombre de destinées humaines dont les souvenirs se sont perdus. Colette Pourroy confesse avoir ressenti des présences occultes pendant les séances de pose. La photographie a-t-elle le pouvoir de ressusciter les êtres du passé en plus de prolonger leur mémoire ?

Mourir pour renaître n’est pas le propre des réflexions théologiques, la création artistique s’inscrit également dans une quête d’immortalité. En contournant les surfaces trop nettes, en érodant les corps physiques, l’artiste sonde la force vitale qui survit aux apparences éphémères et se transmet de siècle en siècle. Par des compositions qui rappellent Degas, Whistler, Toulouse-Lautrec ou Francis Bacon, Colette Pourroy délaisse le réflexe automatique des appareils pour se rapprocher du travail des peintres. C’est en effaçant qu’elle donne à voir, démontrant que la photographie ne se limite pas à la perception de l’œil mais peut s’adresser à l’âme.

Marc Soléranski
Historien d’art, dramaturge (05/10/2023)